Logo du CNRS Logo de l'UMR CEAN Afrique et télécommunications


Le projet Africa'nti Problématique Résultats de recherche L'actualité du projet Les liens

Page d'accueilRechercher sur ce site
Nous envoyer un message

PROBLEMATIQUE


Une modernisation paradoxale qui met en question le rôle de l'Etat

par Annie Chéneau-Loquay


En Afrique pour en comprendre les enjeux, la question des TIC doit être située dans le contexte global d'une modernisation paradoxale liée à l'importance de l'économie "informelle".

Alors que l'informatisation qui traduit l'emprise des réseaux interconnectés sur les individus et sur les territoires se développe dans les univers des pays du Nord, en Afrique les réseaux qui structurent les territoires sont le plus souvent mal entretenus, et mal contrôlés. Branchements pirates, disparition des débiteurs, défauts d'approvisionnement en pièces détachées ou en combustibles, pannes multiples sont le lot quotidien de l'habitant des Suds. Activités formelles et informelles s'imbriquent. Avec des systèmes d'enregistrement des personnes et des biens défectueux les fraudes sont facilitées et l'Etat éprouve des difficultés pour assurer ses fonctions de contrôle et de gestion du territoire. Il en résulte une hétérogénéité spatiale entre des zones urbanisées raccordées aux réseaux modernes, routes bitumées, lignes électriques et téléphoniques et d'autres à l'écart où l'on circule sur de mauvaises pistes où les activités sont tributaires des énergies locales celle des hommes et de la biomasse. Cette dualité, obstacle de fond pour le développement, est très peu prise en compte dans les projets où on ne perçoit pas le rôle fondamental d'infrastructures et d'équipements interconnectés, en tant que système nerveux d'un territoire.

Vie de relation intense et carence des infrastructures

Mais alors que dans les pays développés l'éviction des systèmes d'enregistrement est synonyme d'exclusion sociale (la perte de domicile, suit la coupure d'électricité et la perte de la carte bancaire), en Afrique, c'est la grande majorité de la population qui vit hors des règles légales dans le secteur dit "informel". Cependant, cette exclusion de l'univers du droit n'empêche pas un dynamisme des activités fondées ici bien davantage sur les réseaux sociaux que sur des politiques publiques d'aménagement du territoire.

L'Afrique est considérée dans des travaux récents en sciences sociales comme un espace "souple" où les hommes de "l'interface", commerçants transporteurs, migrants qui animent de puissants réseaux économiques et sociaux transfrontaliers et souvent illégaux jouent un rôle déterminant.. Mais n'y a t-il pas un paradoxe entre une vie de relation intense et la carence des infrastructures ? Peu d'intérêt est porté aux questions de communication qui sous-tendent ces échanges, et au rôle de l'Etat en tant que fournisseur de services et d'équipement, or des blocages essentiels pour le développement des flux et donc des productions se situent à ce niveau.

Libéralisation et dématérialisation

Les politiques publiques et la relation public-privé avec en particulier la transition vers la privatisation des opérateurs de réseaux et des fournisseurs de service sont au coeur de la problématique de ce travail. En effet, nos premières recherches montrent que jusqu'à aujourd'hui, le rôle de l'Etat est primordial dans le déploiement ou non d'infrastructures de communication pour rendre possible l'accès aux technologies dans l'ensemble d'un territoire et pour le plus grand nombre d'individus. Le cas du Sénégal est probant à cet égard dans le secteur des télécommunications, avec la politique de multiplication de télécentres privés et un coût abordable de la communication. Par contre, si l'Etat n'intervient pas, le seul jeu du marché comporte le risque de favoriser uniquement les catégories de population les plus aisées et les zones les plus rentables. C'est le cas en Guinée avec une libéralisation brutale et l'installation du GSM pour pallier l'obsolescence du réseau filaire classique. Ainsi les coûts élevés pénalisent les pauvres et les régions rurales.

Mais outre l'impact de la libéralisation des économies, une autre question fondamentale se pose; comment créer un service universel quand la nature même de ces techniques de plus en plus libérées des contraintes matérielles permet de contourner le territoire et le droit d'un Etat ? Les objets nomades d'aujourd'hui et les satellites de télécommunication offrent déjà la possibilité d'être relié de n'importe où à n'importe qui à travers le monde à condition d'en avoir les moyens et sont donc compatibles avec des économies non contrôlées (telles que celles de l'ex Zaïre ou du Libéria). Ainsi, cette mobilité est à la fois source de promesses et de dangers pour la gestion des territoires et la gouvernance des sociétés. La question des relations entre la régulation des nouvelles technologies et l'équité socio-spatiale est fondamentale.

Le choix du secteur de l'échange et de cet espace pour analyser les usages se justifient pour des raisons propres aux chercheurs, une expérience dans ces pays, mais aussi parce que le secteur commercial "informel", principal employeur des pays (60 à 80 % des échanges) est particulièrement intéressant à étudier dans l'optique d'un développement des nouvelles technologies étant donné :

- le rôle stratégique des acteurs de l'échange très dépendant des technologies de la communication (routes, moyens de transport, télécommunications);

- l'existence de leurs réseaux de relations transfrontaliers qui réalisent une intégration économique régionale au quotidien;

- le fait que cette catégorie sociale soit négligée dans les projets existants sur les NTIC qui ciblent les catégories sociales défavorisées (femmes, jeunes) et le secteur moderne de l'économie ( voir l'étude exploratoire au Sénégal).

- la vision concrète que les commerçants ont de l'intérêt de ces nouveaux outils ; développement rapide du téléphone cellulaire en Guinée, besoin de médiateurs qui faciliteraient l'accès à l'Internet.

Ainsi, si l'on considère l'intensité, la diversité et la souplesse de la vie de relation en Afrique de l'Ouest et les nouvelles possibilités induites par la libéralisation des économies, on peut penser que les acteurs de l'échange sont particulièrement aptes à utiliser les nouveaux réseaux de communication. Si par contre il s'avère que la modernisation est intrinsèquement liée à l'économie formelle et donc au rôle régulateur d'un Etat, même si les NTIC s'affranchissent en partie des contraintes physiques, le "saut technologique" espéré ne relève t-il pas très largement du mythe .

Peut-on espérer au terme de ces travaux, si on focalise les actions de développement des NTIC sur ces entrepreneurs un "effet de levier" pour l'ensemble de la vie économique et pour l'intégration régionale des marchés qui est visée par les politiques publiques ?

revenir en haut de la page

Responsable du projet :
Annie Chéneau-Loquay
Directrice de recherche CNRS
CEAN (UMR CNRS-IEP)
Maison des Suds
12 Esplanade des Antilles
F- 33607 PESSAC CEDEX
a.cheneau-loquay@sciencespobordeaux.fr

Responsable du site web :
Raphaël Ntambue
CEAN (UMR CNRS-IEP)
Maison des Suds
12 Esplanade des Antilles
F- 33607 PESSAC CEDEX

tntambue@ulb.ac.be

copyright et autres informations légales.